Peter

      Quand , par la nationale 70 , on va de Rheine , la ville de Rhénanie-Westphalie  la plus au Nord , à Lingen , on arrive rapidement au canal de l’Ems à Dortmund en traversant la frontière du Land (1) vers la Basse-Saxe .

       Le premier village de cette route est Varenrode , autrefois rempli de fous , qui avaient d’étranges animaux . Comme le village est aujourd’hui rattaché à Spelle , qu’il n’a plus que très peu d’importance et que ses nouveaux habitants ont pratiquement oublié les traditions  , je vais relater  ici quelques histoires des animaux de Varenrode . – A la sortie du village , près de la grande forêt , qui s’étale de Varenrode à Spelle , vivait autrefois le fermier Kück (2) et sa famille . A cette ferme était associée une battue pour laquelle « Kücks-Franz » , comme on l’appelait , comptait parmi les meilleurs en raison de sa connaissance des animaux et de leurs habitudes .

       Et c’est lors d’une battue qu’un jour de mars , il trouva un nid d’écureuil avec trois petits . Franz regretta que la mère n’ait pas installé son nid dans un trou d’arbre , ce qui eût été plus approprié pour la nichée . Il mit donc les petits encore aveugles dans son sac à dos et les emporta à la ferme .Sa fille Anni , qui aimait beaucoup les animaux , se procura d’abord un biberon , fit ensuite tiédir du lait de vache et voulut faire du bien aux petits , mais ça ne marcha pas : la tétine était trop grande . La fille alla donc chercher au kiosque du village un biberon empli de « perles d’amour » (3) muni d’une minuscule tétine rouge et eut ainsi un récipient approprié pour nourrir ses protégés .

      Avec l’aide de ses frères et sœurs , elle construisit alors une petite cage de bois qu’elle installa dans l’étable près des vaches , afin que les petits écureuils vivent à la chaleur et en compagnie des vaches pour avoir un peu de distraction . En été , tous trois déménagèrent enfin dans une grande cage de bois, de manière à posséder , dans une certaine mesure , un salon et une chambre à coucher . La cage fut déposée dans le jardin sous un pommier . Le logement fut équipé de branches et de rameaux , parce qu’il est connu que les écureuils dédaignent pas les écorces d’arbre . Le reste de la nourriture constituait en graines et noix  qui ne faisaient bien sûr pas défaut chez les Kücks . Ainsi les hôtes de la maison furent-ils au début nourris relativement correctement et  se laissèrent apprivoiser .
    Mais comme Kücks-Franz ne parvenait pas à chasser ces animaux de la ferme , ceux-ci jouèrent bientôt un rôle primordial dans la maison ; car dès l’ouverture matinale de la cage , après la toilette et la nourriture , ils disparaissaient dans la maison d’ habitation , saluaient rapidement Franz et finissaient par s’asseoir sur la table du repas pour participer au petit-déjeuner . Anni avait toujours pour eux quelques morceaux de biscottes qu’ils prenaient entre leurs pattes et avalaient en un éclair .
    En guise de remerciements , les lutins faisaient ensuite leur gymnastique sur la tête de « Kücks » .Ils passaient la journée à jouer ou dormir dans la cage , le soir ils étaient en liberté . Comme les écureuils ont quatre portées par an , cela n’étonna personne quand un jour , deux d’entre disparurent pour fonder quelques familles avec des partenaires .
   Seul Peter , qui avait entre temps atteint le poids considérable de 250 grammes et portait une belle fourrure d’été rouge brun , préféra rester encore chez les Kücks .La nuit , il arrivait qu’il dorme dans les lits des enfants.
Il aimait aussi à se cacher dans les poches des manteaux pendus dans le couloir , faisait sa gymnastique sur les tringles à rideaux et s’efforçait de faire vieillir les tentures en y faisant de petits trous pour regarder . Ainsi fit-il ses petites plaisanteries et amusa la famille jusqu’au début de l’année suivante . Puis , il disparut lui aussi , parce que – ainsi le supposa Anni – il avait trouvé une gentille femme avec laquelle il voulait vivre dans la forêt .

  1. Land : en Allemagne : région , état .
  2.  Kück : forme abrégée de Kücken ( poussin ) .
  3. Traduction littérale de « Liebesperlen «  , ainsi nommait-on les petits bonbons multicolores contenus dans ces biberons de poupée .
Auteur : Wolfgang Viehweger                                          Traduction : Colette Martin
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