Selma

      Parce qu’elle eut en son temps un réel retentissement , on peut , encore aujourd’hui , entendre raconter l’histoire suivante au « Café du vieux Moulin «  , Rue de Schadeburg à Börnig .

       Pendant la guerre , le fermier Bernd Rottmann , par peur des attaques aériennes sur la Ruhr , avait envoyé sa femme et son jeune fils Udo chez son frère Alois à Kappel – sur- le Rhin , où la situation était encore relativement tranquille . Lui-même resta avec quelques employés à la ferme de Börnig , pour entretenir les champs et s’occuper des animaux . A Kappel , Udo vit pour la première fois des vaches uniformément jaunes que l’on appelait autrefois à Baden des «  Limpurg » . Malheureusement , en raison des circonstances de l’époque , elles ne furent pas maintenues en pâture mais durent rester à l’étable . Comme il est de coutume dans une ferme , Udo prit part à tout ce qui s’y faisait , de l’abattage des cochons à la naissance des veaux et des poulains . Cela le familiarisa avec les contingences quotidiennes .

       Par un beau matin de Mai , l’oncle Alois était parti aux champs avec les adultes et avait confié à son neveu la charge de veiller sur la vache Selma , prête à vêler .Cependant , quand le garçon alla dans l’étable , la vache ne se tenait pas debout , ce qui lui aurait facilité le vêlage , mais était allongée sur le flanc , gémissait et n’était visiblement pas en état de vêler seule bien que les pieds du veau fussent déjà sortis . Udo tranquillisa la vache , alla chercher un palan ( un jeu de cordes ) dans la grange et le fixa solidement à un anneau  dans l’étable . Puis il fit un nœud coulant à l’extrémité du jeu de cordes , l’ attacha  aux pieds du petit veau et mit le palan en marche . C’est de cette manière que naquit Selma , du nom qu’ Udo lui attribua ensuite . Il lui fallut encore ensuite couper le cordon , ce qu’il fit en l’ entravant  par un nœud solide , puis en le coupant (du côté de la mère) . Pour finir , il sécha Selma en la frottant avec de la paille et la confia à sa mère pour le reste des soins .

      Alois Rottmann , de nature rogue , qui jusqu’à ce jour n’avait encore jamais perdu de sa contenance, ne put exprimer un seul mot lorsqu’il vit ce qu’Udo avait réalisé dans l’étable.  Spontanément , il offrit le veau à son neveu , ce que celui-ci trouva tout naturel . Udo acheta un collier de cuir , à vrai  dire prévu pour un chien , et emmena l’animal en promenade et aux travaux des champs . Cela plut tellement à Selma que rien n’aurait pu entraver une longue amitié si la guerre avait été terminée .

      Fin août 1945 , Bernd fit savoir à son frère que sa famille devait désormais rentrer à Börnig . Ce qui pour la mère représentait une immense joie fut pour Udo un problème , puisqu’il voulait à toutes fins emmener le veau avec lui . Tous s’accordèrent sur la proposition de Udo , qui rentrerait à Herne avec sa mère dans le compartiment à bagages par le train de Lahr , Selma voyageant dans le wagon à bagages .Mais lorsque Udo fut assis dans le compartiment , Alois  , qui avait amené le veau dans le wagon à bagages à l’extrémité du train , le fit discrètement  traverser les voies pour le faire sortir de la gare .  Dès l’arrivée à Offenburg , la première station , Udo voulut aller porter de l’eau au veau .Sa mère , qui était au courant et s’était vue entre temps prise de remords , le fit patienter en lui conseillant d’attendre Karlsruhe qui leur offrirait un arrêt plus long . Quand finalement le garçon se rendit compte de la supercherie , il n’accorda plus un regard à sa mère et ne lui adressa plus une parole .

     L’arrivée à Herne fut si oppressante que les parents s’empressèrent d’arranger la situation : Selma fut transportée à Herne quelques semaines plus tard et vécut , reconnue comme une authentique Limpurg , paisiblement parmi les vaches rousses , blanches et noires  de Westphalie . Quand aujourd’hui des touristes passent à Börnig devant la ferme des Rottmann , ils s’arrêtent , émerveillés  , pour regarder un troupeau de grandes vaches uniformément jaunes , que l’on ne voit en principe qu’en Franconie et dans le  Baden – Württemberg . Udo Rottmann les élève en effet , depuis qu’il a repris la ferme , pour leur lait et leur viande - et pour son propre plaisir .

Auteur : Wolfgang Viehweger                                              Traduction : Colette Martin
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