Haselinchen

     Dans cette histoire , qui ne m’est parvenue que récemment  , il ne se passe pratiquement rien . Elle n’aurait donc , d’abord , pas dû figurer dans ma collection d’ « histoires » .Mais lorsque j’ai réfléchi au rôle joué  dans ces événements par deux enfants et l’attention qu’ils avaient apportée à une simple créature , j’ai considéré que cela valait la peine d’être raconté .
     Dans la rue Martini , aujourd’hui coupée par la rue de Wakefield , habitait voici des années un ingénieur en bâtiment du nom de Kruse , avec femme , fille , gendre et petits-enfants . Le petit-fils s’appelait Mark , la petite-fille Sara . Monsieur Kruse n’avait pas seulement fait les plans de sa maison , mais aussi ceux du jardin et du sous-sol  . Celui-ci était muni de belles fenêtres , il était clair  et bien aéré , aussi les petits-enfants aimaient-ils y jouer .
     Ce fait avait été aussi remarqué par un muscardin (1) , un animal aux yeux en forme de boutons noirs , au pelage brun , aux oreilles rondes et à la queue plus longue que ne l’ont normalement les autres souris . Il s’était discrètement installé au sous-sol , vivait des déchets de la maison et du voisinage , se protégeait de Bubi , le chat du quartier , et menait  le reste du temps  une vie contemplative . Quand les enfants étaient à l’école et que le calme régnait dans les différentes pièces du sous-sol , il prenait le soleil derrière une des fenêtres donnant sur le jardin .
     Cette vie qui s’était organisée avec le temps sembla terminée lorsque Madame Kruse découvrit un midi la sous-locataire . Avec des cris qui pouvaient laisser présager du pire , elles s’enfuit de la cave en courant dans le jardin où Monsieur Kruse était occupé à examiner d’un œil expert les buissons formant sa haie .Elle l’informa de la présence de l’invité indésirable de la cave et l’engagea d’une voix vibrante à agir sans tarder . Monsieur Kruse rassura sa femme du mieux qu’il le pouvait et se mit en relation avec la propriétaire de « Bubi » . Ce faisant il pensait bien évidemment à la solution classique prévue par le règne animal en cas de rencontre entre chat et souris .
     Bref , la voisine sortit Bubi de sa sieste réparatrice , l’aida à se préparer à sortir tout en lui caressant plusieurs fois la fourrure , le prit sur les bras et l’emmena dans le sous-sol des Kruse . Bubi ne se montra que moyennement intéressé lorsqu’il découvrit qu’il ne s’agissait que d’une petite souris des champs ,-qui ne figurait même pas sur la carte gastronomique des chats – et refusa catégoriquement de chasser la petite bête qui s’était placée en position de combat sur le rebord de la fenêtre et menaçait par des sifflements  aigus . A présent , la situation  devenait embarrassante car Madame Kruse refusait de prendre la décision . D’autre part , la souris ne manifestait nullement la volonté de libérer le sous-sol .
    Entre temps , et après leur retour de l’école , la petite Sara , 10 ans , et son frère de 8 ans avaient appris le drame de la cave .Tandis que les adultes réfléchissaient dans la salle à manger à la nécessité de trouver une méthode « sportive » , dans laquelle le filet à poissons rouges du bassin du jardin jouait un rôle , les frère et sœur se prononcèrent pour une méthode « biologique » .
   Voici la notice de fabrication –et d’emploi qui depuis a cours dans la Ruhr : «  On prend une boîte à chaussures en carton avec couvercle . On découpe un trou rond sur la face latérale , un peu plus grand qu’une ancienne pièce de 5 Mark (2) . Dans un autre carton , on découpe un morceau un peu plus grand destiné à recouvrir le trou , que l’on colle dessus et à l’intérieur de  la boîte : cette nouvelle porte ne s’ouvre que de l’extérieur vers l’intérieur . Dans la boîte à chaussures  hermétiquement collée , on place un petit morceau de fromage ou de lard ou un appât pour la chasse . La souris affamée renifle la boîte , trouve le trou et son couvercle amovible . Elle s’y introduit – mais ne peut plus en sortir ! La « porte » est solidement fermée par le clapet renforcé se trouvant dessus . »

    En début de soirée , les 2 parties , adultes comme enfants , se mirent d’accord sur cette méthode . Lors d’une « cellule de crise » , Sara et Marc avaient encore mentionné que la souris ne devait pas être tuée , parce qu’elle n’avait rien fait de mal , mais que l’on devait se contenter de l’attraper et l’éloigner , que toute autre mesure était exclue . Le lendemain matin , la souris était en effet dans le piège , ce dont attestait le contenu plus ou moins vivant du carton . Le midi , les enfants partirent avec leur grand-père prirent la route de Recklinghausen jusqu’à Speckhorn, berceau de la famille Kruse . Monsieur Kruse avait raconté aux enfants qu’ici , les souris atteignaient un âge avancé parce que les champs et les granges leur offraient une  nourriture abondante .
    En tout cas , on ne « déposa » pas la souris , car la pitié des enfants pour le petit animal avait eu raison des désirs de la grand-mère et de ses conséquences . Ils demandèrent au grand-père la permission de ramener « Haselinchen » à la maison et de la surveiller , afin que la grand-mère n’en ait plus peur .

    Et voici comment les choses se passèrent : la souris revint dans le sous-sol et fut une sous-locataire véritablement exemplaire . Les deux enfants s’occupèren,t si bien de leur protégé qu’il fallut mettre l’animal au régime .
   Madame Kruse avait à présent fait la paix avec l’animal . On se rencontrait en affichant respect et une courtoisie empreinte de circonspection . A l’occasion , tous deux conversaient même rapidement quand la souris prenait le soleil sur sa « chaise-longue «  .

  1. sorte de campagnol . Le terme « muscardin étant peu répandu en français , il sera remplacé par celui de souris dans le reste de l’histoire .
  2. de la taille d’une ancienne pièce de 5 Francs .

 

Auteur : Wolfgang Viehweger                                                      Traduction : Colette Martin
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