Rosa

         Non loin de chez les Rottmann , à l’embranchement de l’autoroute A 42 , se trouve la ferme de Willi Hörnig . Celui-ci élève depuis des années des porcs dits de la race «  Weisses Edelschwein « (1) , en tout cas une espèce aux oreilles non pas dressées , mais tombantes .
         A Pâques 2003 , une truie mit au monde – comme d’habitude après quatre mois de gestation -  dix porcelets qui , parce que les nouveaux-nés sont toujours très frileux , se tinrent très près de leur mère pour se réchauffer contre elle . Une chose est sûre : cela n’empêcha pas un porcelet de se faire pratiquement écraser par sa mère . Il poussa donc des cris si forts et si stridents qu’Anita et Suzanne , les deux filles adolescentes des Hörnig , accoururent à la porcherie pour voir ce qui se passait . Lorsqu’elles remarquèrent le porcelet blessé dont la patte avant-gauche était manifestement cassée , elles en informèrent leur père . Celui-ci voulut régler l’affaire à la hâte en abattant l’animal . Mais comme les deux filles lui demandaient de lui laisser la vie et d’appeler un vétérinaire , le père finit par accepter .
         Le vétérinaire posa à Rosa – ainsi les enfants avaient-elles appelé le porcelet – une attelle et lui plâtra  la patte . Lorsque , quatre semaines plus tard , il eut enlevé le plâtre , il recommanda des massages quotidiens à l’huile , afin que Rosa ne garde pas la patte raide . Ainsi l’animal passa-t-il son temps d’allaitement de huit semaines auprès de sa mère , soigné par les massages d’Anita et de Suzanne . Après qu’on l’eut séparée de sa mère , Rosa reçut sa propre porcherie  et , quand elle apercevait les filles , elle s’y allongeait sur le dos et levait la patte avant-gauche . Ce faisant , elle accueillait les « infirmières » par d’ aimables grognements . Après une période de six mois , l’animal atteignit un poids de 40 kg et on continua de veiller sur lui bien que ce ne fût plus du tout nécessaire . Rosa était en pleine santé et  s’ébattait , pleine d’entrain , dans la prairie derrière la ferme , et aussi , au grand déplaisir de Madame Hörnig , dans la maison avec les filles , comme un chat ou un chien .Hélas , Rosa ignorait la propreté .
         Et lorsque les parents eurent décidé de mettre un terme à cette situation et de vendre Rosa à un chevillard , un événement survint qui les fit changer d’avis .

         A cette époque , des cambrioleurs sévissaient dans la Ruhr . A bord de voitures rapides , ils descendaient  dans les faubourgs par l’autoroute , pénétraient par effraction dans les maisons où ils pensaient trouver des objets précieux à voler et disparaissaient aussi rapidement qu’ils étaient venus .
         Pour tout dire , Rosa n’avait pas l’intention  de devenir l’héroïne de Börnig quand ,une nuit , elle s’était endormie sur la terrasse sous la fenêtre d’Anita et de Suzanne . Quand deux cambrioleurs cherchèrent à pénétrer chez les Hörnig , elle fut plutôt prise de panique et s’enfuit dans le jardin .
Déjà sur la terrasse , elle avait évacué sa peur animale par quelques petites déjections  . Couverts de tapis , d’argent liquide et de bijoux , les invités indésirables se dépêchaient de sortir de la maison quand ils marchèrent en plein dans les traces de Rosa .
         Le lendemain , la police fut très heureuse de constater les empreintes parfaitement nettes des semelles des malfaiteurs . Et en effet , une semaine plus tard , un des cambrioleurs, auquel on attribuait d’autres méfaits , fut pris en flagrant délit . L’homme ayant toujours travaillé avec des gants , on dut avoir recours à d’autres preuves . Lorsqu’on compara l’empreinte de ses semelles avec celles de la terrasse des Hörnig , il ne servit plus à rien de mentir . L’homme reconnut 27 délits commis avec un ami .Le tribunal de première instance de Herne considéra la participation de Rosa comme  une preuve importante et condamna les cambrioleurs à plusieurs années d’emprisonnement . A la presse , le juge qualifia la réussite de l’arrestation d’ « inhabituelle » .

         Rosa , qui avait participé à sa manière à confondre les malfaiteurs , ne fut bien sûr pas vendue , mais au contraire élevée par Willi Hörnig et sa femme au grade de «  détective de la maison » . Cela ne changea toutefois rien au fait que Rosa ne sut jamais exactement ce que signifiait la propreté .

(1) que l’on peut traduire par porc blanc de race supérieure.

Auteur : Wolfgang Viehweger                                                       Traduction : Colette Martin
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