Micky

        Voici des années vivait à Bremen-Findorff une enseignante , Madame Christine Grams . Elle considérait qu’elle n’avait pas consacré tant de temps à étudier la physique et les mathématiques pour finir par tenir la maison d’un homme et lui rendre la vie agréable , mais au contraire pour exercer son métier .Aussi vivait-elle seule dans un pavillon de lotissement avec une  cour donnant sur les jardins du voisinage  .

         Il y avait là-bas une imposante colonie de souris , en raison de la proximité d’une école où les enfants jetaient tant de  restes de tartines beurrées et sucreries que les souris pouvaient même y faire des provisions . Ce territoire semblait donc avoir été créé pour un chat qui aurait voulu  s’ y établir en maître . Et  effectivement cela intéressa un chat errant sans nom au pelage noir , blanc et roux voulant s’y installer . Cependant , il lui manquait encore , pour ce faire, une relation humaine d’un bon standing . Il fut donc particulièrement heureux d’apprendre par des cercles félins bien informés que Madame Grams , qu’il connaissait déjà pour l’avoir rencontrée fortuitement , cherchait un chat .

        Aussi celle-ci commença-t-elle , lors de ses séances de jogging et ses promenades à vélo , à rencontrer  fréquemment un chat qui semblait solitaire et miaulait plaintivement quand elle s’en approchait . Comme ce chat savait que , si l’on voulait devenir l’ ami d’un humain , il ne fallait pas le brusquer, il résista aux travaux d’approche de Christine, qui voulait lui donner à manger, en se retirant craintivement dans les buissons quand elle voulait le prendre . Ce faisant , il aiguisa son intérêt pour lui et put en même temps tester la manière de s’y prendre avec les humains . Un jour , sa décision fut prise . Il choisit pour cela la méthode dite «  des trois pattes «  pour établir le contact avec Madame Grams et partager son logis .

        La rencontrant lors d’une promenade, il vint vers elle en miaulant d’ un ton de reproche et en boitant fortement , tout en lui tendant ostensiblement la patte avant-droite . Prise de pitié , la jeune femme saisit l’animal , qui tremblait sous l’effet du traumatisme et l’emmena sur-le-champ chez elle pour le soigner.   » Micky » , ainsi le baptisa-t-elle spontanément , était un acteur parfait et un bon psychologue . Aussi savait-il tout naturellement que pour conquérir l’humain que l’on a choisi , il faut , dès les premiers jours de vie commune , mettre tous les avantages de son côté . Il dormit dès le début dans le lit de Christine , se montra difficile pour la composition de ses repas et se conserva un droit de contrôle sur les jardins de son territoire aussi souvent et aussi longtemps qu’il le voudrait .

          Comme sa maîtresse se montrait peureuse le soir – peur qui se prolongeait la nuit - , ce qui restait pour Micky totalement incompréhensible , il s’octroya des devoirs de maître de maison en matière de surveillance et de défense contre d’éventuels ennemis . Il expulsa une fois par des cris de guerre un chat étranger qui s’était vraisemblablement introduit dans la maison pendant son absence . Le chat lui faisant comprendre qu’il partageait une certaine  responsabilité dans l’intrusion de cet étranger dans la maison , Christine l’en remercia par un supplément de caresses .

          De jour , son attention pour sa maîtresse se limitait à lui dire au-revoir le matin et à la saluer le midi à son retour de l’école . Micky surmontait également sa timidité face à la tondeuse à gazon et faisait semblant de s’amuser à mordre le fil électrique quand , une fois par mois , Christine travaillait au jardin .

         La  confortable vie de chat qu’il s’était choisie reçut un coup totalement impensable pour un chat : sa maîtresse décida en effet d’ adopter l’enfant d’une collègue décédée dans un accident de voiture . Pour garantir la bonne prise en charge de l’enfant , elle dut accueillir chez elle sa propre mère qui habitait à Bremen-Schwachhausen .  Micky considérait non seulement la présence de cet enfant , dont la dépendance aux autres hommes était si grande qu’il en était heureux de ne pas être humain , comme une offense  , mais la mère aussi lui faisait horreur . La vieille dame tenait en effet pour convenable de se parfumer plusieurs fois par jour .De surcroît , il comprit que la mère considérait sa présence chez sa fille pour définitive parce que lui-même était une menace pour l’enfant . Elle expliqua cette dangerosité par d’éventuelles rivalités et la transmission par le chat de certaines maladies à l’enfant . Micky se trouva donc obligé d’agir vite et de façon décisive pour assurer son existence en étroite dépendance avec celle de Christine Grams .

       Une nuit , dans la chambre de Christine , le chat , avec des miaulements excités ,se mit à monter et descendre sans arrêt  du châssis de la fenêtre  donnant sur la petite terrasse . Se levant pour regarder  par la fenêtre , elle vit un homme tout prêt à dérober une bicyclette pourtant protégée  par une chaîne anti-vol .

       Voyant qu’il s’agissait de sa propre bicyclette , elle surmonta sa peur et se précipita dans la cour . Avec Micky , elle entreprit de le poursuivre . Elle se mit à hurler pour appeler à l’aide , le chat poussa des cris perçants, et bien que le voleur fût parvenu à sectionner l’anti-vol , une roue restait bloquée . Tout cela favorisa la poursuite . Le voleur se débarrassa du vélo en le lançant à l’autre bout de la rue , là aussi inquiété par les passants qui surveillaient ce qui se passait et de nombreux voisins qui avaient ouvert leurs fenêtres . Et le gaillard finit par prendre le large .

       Quand la police arriva , la bicyclette était sauvée , Christine Grams était devenue une héroïne et Micky une star . Mais il était bien moins important pour lui de voir ses mérites reconnus par les habitants de Brême que d’être conforté dans sa position contre l’enfant de trois ans et la mère de Christine .
 Son maintien dans la maison fut définitif quand le Weserkurier (1) publia un article avec la photo de Micky , mettant en valeur l’utilité des animaux en général et la vigilance des animaux domestiques .

       Le chat lut l’article en cachette – il n’allait quand même pas montrer qu’il avait cette compétence - , se coucha dans le lit de Christine et se mit à ronronner .

(1) journal local

 

Auteur : Wolfgang Viehweger                                                       Traduction : Colette Martin
zurück